Valorisation des savoir-faire locaux pour la réhabilitation des sols des zones sèches
Cas de Laf et Maoudine, Extrême-Nord du Cameroun
Planche 1 : Un paysan leader dans sa parcelle à Maoudine
La déforestation et la dégradation des terres sont pour la planète des problèmes épineux de notre époque et l’Afrique de fait pas exception. Selon la FAO (2016) et le PNUE (2013), ce continent perd environ 2,8 millions d’hectares de forêts par an, près de 50 millions d’hectares de terres étant affectés par la dégradation. Au fur et à mesure que le climat de l’Afrique évolue, les secteurs qui utilisent les terres sont énormément impactés par la hausse des températures et du niveau de la mer ou par l’irrégularités des précipitations. Cette situation force de plus en plus les agriculteurs à adopter de façon urgente leurs cultures et la gestion du bétail compte tenu de cette nouvelle pression l’eau et la baisse de la productivité agricole (Global Forest Landscapes, 2018).
Contrairement à la dégradation des forêts qui fait référence à la réduction de la capacité de ces dernières à fournir des biens et services, la dégradation des terres est en général définie comme un « déclin persistant » dans les biens et services fournis par un écosystème, notamment les biens et services biologiques liés à l’eau, et les biens et services sociaux et économiques liés à la terre. Elle est donc influencée par des facteurs naturels et socio-économiques (UNCCD, 2016b). La dégradation des terres entraîne une réduction de la production alimentaire, une mauvaise conservation de l’eau, une perte de la biodiversité, une perte du carbone organique du sol et une perte des services écosystémiques (IUCN, 2015 ; Gilbey et al., 2019).
La dégradation des terres s’observe dans toutes les zones climatiques de la planète. Elle affecte environ 23% de la surface de la terre et augmente à un rythme annuel de 5-10 millions d’hectares (Stavi & Lal, 2015). La dégradation des terres due aux activités humaines a un impact néfaste sur le bien-être d’au moins 3,2 milliards de personnes, et coûte plus de 10% du produit intérieur brut mondial annuel en perte de biodiversité et de services écosystémiques. Le cout de la dégradation des terres affecte indirectement chacun être humain. La perte économique globale des services écosystémiques due à la dégradation des terres et à la désertification a été estimée à US$ 870-1,450 par personne et par an.
Le Cameroun, à l’instar des autres pays en voie de développement d’Afrique subsaharienne, est constitué d’une population de plus de 80% rurale (DSCE, 2010), fortement tributaire de la production agricole pour sa subsistance. L’agriculture, l’élevage, la pêche et la collecte des produits forestiers, constituent les principales activités des populations rurales majoritaires. Ce pays est vulnérable aux impacts des changements climatiques (récurrence des sécheresses, inondations, ensablement des cours d’eau etc. MINEPDED, 2015a).
Comme tentative de solution à cet épineux problème, le Gouvernement camerounais, en matière de restauration des paysages forestiers dégradés à l’échelle nationale, a manifesté son intérêt à participer à l’initiative de restauration des paysages forestiers dégradés africains, dénommée African Forest Landscape Restoration Initiative (AFR 100), avec le concours des partenaires au développement. Cette approche entre en droite ligne avec le « Bonn challenge » lancé en 2015 lors de la COP 21 et qui vise à restaurer d’ici 150 millions d’hectare dans le monde entier. L’’initiative AFR100, issue de ce challenge de Bonn a pris l’engagement de contribuer à la restauration de dont l’objectif principal est la restauration de 100 millions de terres dégradées en Afrique d’ici 2030.
Le Cameroun en marquant son adhésion à cette l’initiative, a pris le deuxième plus grand engagement dans le continent africain après l’Ethiopie, celui de restaurer 12 062 768 hectares de paysages forestiers déboisés et dégradés à l’échelle nationale, donc plus de 8 millions pour la zone septentrionale du pays dont la Région de l’Extrême-Nord.
Très souvent considérée comme porte d’entrée du désert, la région de l’Extrême-Nord du Cameroun est considérée aussi comme la plus peuplée du pays après celle du Centre, d’après le rapport du dernier recensement général au Cameroun. Cette région accuse plus de 400.000 hectares de terres fortement dégradées et en voie d’abandon à cause des facteurs climatiques mais aussi et surtout, des activités anthropiques et des mauvaises pratiques de gestion des sols, d’où la nécessité de promouvoir la gestion durable des terres. A cette allure, des millions de personnes seront directement affectées par la dégradation des terres avec des impacts plus sévères pour les couches les plus démunies en l’occurrence les femmes et les enfants, si rien n’est entrepris dans le sens d’inversion de cette tendance. Avec une démographie galopante, l’augmentation de l’insécurité alimentaire couplée à l’insécurité sociale qui règne actuellement dans la région de l’Extrême Nord, la vulnérabilité des paysans à la dégradation des terres, aux inondations et à la sécheresse va s’accentuer.
C’est dans cette optique que dans le cadre de l’exécution de la phase 2016-2019 du ProPFE, la GIZ s’est donnée pour ligne directrice la promotion des savoir-faire locaux en matière de restauration des sols, afin d’améliorer le bien-être et les moyens de subsistance des populations rurales.
Matériels et méthode
Zones d’intervention de l’étude
L’étude s’est déroulée dans les localités de Laf et Maoudine, appartenant au Département du Mayo-Kani de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Il était question de réhabiliter des parcelles agricoles abandonnées en fonction des types de sols (Tableau 1).
Tableau 1 : caractéristiques des sols de la zone d’intervention
Caractéristiques | Sols latéritiques | Sol sableux |
pH-H2O (1 :2.5) | 4,5 | 4,1 |
pH-KCl (1 :2.5) | 4,2 | 3,9 |
Acidité d’échange (cmol / Kg) | 0,5 | 0,5 |
Base échangeable (cmol / Kg) | 1,8 | 1,3 |
Saturation en éléments basiques (%) | 79,0 | 4,1 |
Saturation en Al (%) | 14,8 | 19,9 |
Capacité Echange Cationique (cmol / Kg) | 2,3 | 1,8 |
Azote total (mg /Kg) | 253,2 | 174,9 |
Phosphore assimilable (mg / Kg) | 5,5 | 14,3 |
Carbone organique (%) | 0,3 | 0,2 |
Sable (%) | 74,8 | 96,6 |
Argile (%) | 25,2 | 3,4 |
Adapté de : Abdousssalam et al., 2017
Les caractéristiques des deux sites sont consignées dans le tableau 2 ci-après.
Tableau 2 : Principales caractéristiques des sites de l’initiative
Variétés des cultures résilientes aux changements climatiques
Les cultures régulières dans les parcelles des Paysans Leaders sont en majorité les céréales et les légumineuses (Tableau 3).
Tableau 3 : Caractéristiques des cultures et variétés préférées des producteurs
Résultats
De manière participative, des réunions de sensibilisation et d’information ont été tenues dans les différentes communautés. Elles prenaient en compte des opinions de toutes les parties prenantes. Une planification participative et inclusive des activités tout au long de la campagne agricole était indispensable. Une série de formation théorique et pratique (basée sur l’apprentissage par la pratique) ont eu lieu. Le suivi des activités était assuré par des Animateurs Villageois (ou Formateurs relais), savamment choisis pendant les réunions, en fonction de leur capacité à mobiliser les populations et à communiquer.
Grille des techniques de réhabilitation des sols dans la zone d’intervention
La planification des activités incluait l’élaboration participative d’une grille de savoir-faire locaux relatifs aux techniques de gestion intégrée de la réhabilitation (fertilité) des sols (Tableau 4).
Tableau 4 : Grille des techniques de réhabilitation des sols dans la zone d’intervention
Formation des bénéficiaires
Au total, 95 bénéficiaires ont été formés. Il s’agissait entre autres, des autorités traditionnelles et religieuses, des autorités administratives, des bénéficiaires (hommes femmes et jeunes), des agents communaux et des représentants des Organisations de la société civile.
Création des pépinières écoles communautaires
Avec l’appui des experts de la GIZ-ProPFE et des Cadres des Ministère de Forêts et de la Faune, un total de 79 bénéficiaires ont recu un renforcement des capacités technique et managériale relatives aux techniques d’installation, d’entretien et de suivi des plants en pépinières. Les facteurs qui contribuent à l’obtention des plants de qualité ont été partagés dans les groupes de travail. Il en ressort que la qualité du plant dépend : (i) de la capacité de produire rapidement de nouvelles racines ; (ii) de la vitesse à laquelle les racines s’installent dans le sol et commencent assimiler et grandir après transplantation ; (iii) d’un système racinaire bien développé ; (iv) d’un feuillage adapté au soleil ; (v) d’un large diamètre au collet de la racine ; (vi) d’un ratio équilibré rejet : racine ; et (vii) de la disponibilité de bonnes réserves en hydrates de carbone.
Production du compost
Respectivement environ de 500 Kg à une tonne de compost a été produit par les bénéficiaires pour les campagnes agricoles 2018 et 2019. L’appui-conseil et la mise à disposition du petit matériel ont contribué à l’obtention de ces résultats encourageants.
Planche 2 : Séance de compostage à Maoudine
Production des plants et distribution
Au total, 6233 et 5172 plants ont été produits respectivement en 2018 et 2018. Ces plants ont été distribués et mis en terre entre les membres de la communauté, tout en tenant compte des superficies spécifiques à chaque parcelle école.
Planche 3 : Pépinière école communautaire à Maoudine
Accompagnement des bénéficiaires aux respect des itinéraires techniques de mise en terre des plants
Un accent était mis sur l’importance du respect des itinéraires techniques de mise en terre des plants. Des séances pratiques ont été administrées aux bénéficiaires « Apprendre en faisant ».
Planche 4 : Trouaison (à droite) et haie vive défensive en croissance à Laf (à gauche)
Chois et rôles des essences de couverture du sol
L’importance et de rôle des essences de couverture du sol. Le tableau 5 ci-après présente de résume y afférent.
Tableau 5 : Caractéristiques des principales plantes de couverture qui seront utilisées en association avec les spéculations paysannes.
Planche 4 : Trouaison (à droite) et haie vive défensive en croissance à Laf (à gauche)
Itinéraires techniques de l’association des plantes de couverture du sol avec les cultures
Afin de maximiser les rendements, plusieurs combinaisons étaient réalisées, soit qu’il s’agissait des cultures vivrières ou de rente. La période d’introduction des plantes de couverture de sol était capitale. La parcelle était subdivisée en blocs. Le coton par exemple était associé uniquement avec du niébé. Le tableau 6 ci-après présente quelques associations réalisées dans une parcelle à Laf.
Tableau 6 : Caractéristiques des associations dans une parcelle école à Laf
Planche 5 : Association de céréales avec des légumineuses fertilisantes ou des espèces fourragères à laf
Estimation des rendements
Les rendements de la première année d’accompagnement (2018) sont consignés dans le tableau 7. Ils concernent quatre (04) Paysans Leaders pour une superficie de 6, 41 ha. A partir de ces rendements, la grande majorité des habitants a démontré son engouement à mettre en œuvre les BONNES PRATIQUES apprises. Cet engouement a permis d’enrôler 33 autres paysans leaders, soit un total de 37 parcelles écoles en cours de réhabilitation, pour une superficie de 22, 86 ha pour la deuxième année d’accompagnement, 2019. Grâce à l’appropriation des BONNES PRATIQUES par les Formateurs Relais, une projection a été estimée pour la troisième année consécutive correspondant à une mise à échelle sur une superficie de 50 ha. Il est important de mentionner que l’approche était basée sur appui-conseil avec subvention dégressive sur trois années successives.
Tableau 7 : Récapitulatif des rendements obtenus sur les quatre parcelles pendant la campagne 2018
Messages clés
La baisse de la fertilité des sols entraine des faibles rendements chez les petits producteurs en zones rurales. Ces faibles rendements ont un impact direct avec l’insécurité alimentaire (malnutrition et famine). Il apparait dont urgent de proposer des options de réhabilitation des sols viables, afin d’aider les communautés à améliorer leur bien-être et leurs moyens de subsistance. Bien que la présente étude soit encore en cours, les implications suivantes peuvent être suggérées. Il s’agit entre autres :
- des actions de sensibilisation et de diffusion qui peuvent conduire les agriculteurs et éleveurs vers un changement dans leurs pratiques pour plus de résilience face au climat ;
- les organisations locales doivent être orientées vers le développement des pratiques de gestion de l’eau et des sols adaptées à la parcelle et à l’élevage ;
- face aux besoins divers et variés, les systèmes de production des petits producteurs sont très complexes (combinaison des diverses cultures (de subsistance ou de rente) et du petit élevage. Cette complexité nécessite des innovations agricoles adaptées ;
- la capacité des communautés à explorer des pratiques qui réduisent les pertes d’eau et maximisent la productivité devrait être renforcée ;
- il est essentiel de mettre sur pied un suivi du dispositif de renforment des capacités des visites d’appui-conseil agricole pour une meilleure diffusion des technologies.
Références
Abdoussallam S., Dougbedji F.., Bado V.B., Ousmane H., Savadogo P. 2017. Récupération biologique des terres dégradées. Une approche systémique pour générer des revenus, améliorer la nutrition et renforcer le pouvoir économique des femmes. Manuel à l’usage des formateurs et des producteurs : projet d’appui à la sécurité alimentaire des ménages ; ICRISAT, Niamey, Niger, 48p.
Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) du Cameroun, 2010
FAO, 2016. Evaluation des ressources forestières mondiales 2015 ; Comment les forêts de la planète changent-elles ? 2nd Edition. Rome.
Gilbey B., Davies J., Metternicht G., Magero C. 2019. Taking land degradation neutrality from concept to practice: Early reflections on LDN target setting and planning. Environmental Science and Policy 100/230-237. https://doi.org/10.1016/j.envsci/2019.04.007.
IUCN, Davies J., Gudka M., Laban P., Metternicht G., Alexander S., Hannam I et al. 2015. Land degradation neutrality: implications and opportunities for conservation. Gland. Switzerland: IUCN.
MINEPDED, 2015a. Plan National d’Adaptation aux Changements Climatiques. 154p.
PNUE, 2013. Global Environment Outlook, Africa. http://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/7595/GEO_Africa_201611.pdf?seguence=1&isAllowed=y
Stavi I. & Lal R. 2015. Achieving zero net land degradation: Challenges and opportunities. Journal od Arid Environments 112:44-51. https://doi.org/10.1016/j.jaridenv.2014.01.016.
United Nations Convention to Combat Desertification (UNCCD), 2016b. Land degradation neutrality target setting programme: A technical guide. Bonn, Germany.
Par
Rédigé par Makueti Josephine Thérèse, PhD, E-mail : jospehine.makueti@giz.de