La CoVID provoque une crise du développement humain

Entretien avec Angelika Friedrich sur ce que la pandémie implique pour le GIZ

Un ouvrier à Labana Rice Limited, une rizerie à Birnin Kebbi au Nigéria. © Thomas Imo, GIZ

Nos pays partenaires sont actuellement aux prises avec un impact redoutable sur leur développement économique et leur sécurité alimentaire en raison de la pandémie de la CoVID-19. Cette dernière a mis à rude épreuve les efforts consentis en vue de la réalisation des ODD.

SNRD Afrique a interviewé Mme Angelika Friedrich, Chef du Département Afrique centrale à la GIZ, pour mieux comprendre ce qui s’est passé durant ces derniers mois tumultueux dans la mesure où plusieurs processus au Siège de la GIZ et au BMZ ont déjà changé.

Un rappel succinct de ce qui s’est passé en Afrique récemment

En octobre, le continent africain a enregistré au total 1,2 millions infections à CoVID-19 qui ont entrainé plus de 24 000 décès. Toutefois, ces chiffres ne représentent que 3,4 pourcent des cas confirmés et 2,6 pourcent des décès liés à la CoVID-19 à l’échelle mondiale.[1]

L’Afrique n’est donc pas encore un épicentre de la pandémie mais il est indéniable que la gravité de la crise a atteint le continent. Dans plusieurs pays africains, la pandémie pose divers risques dont ceux liés aux complications sanitaires et ceux provoqués par les impacts indirects sur l’économie, surtout dans le domaine de la sécurité alimentaire.
Le Fonds monétaire international (FMI) a décrit l’impact de la pandémie comme étant les pires retombées économiques depuis la Grande dépression. L’organisation projette une baisse de 4,9 pourcent du PIB en moyenne en 2020. Dans le meilleur scenario possible, l’Afrique retournera au niveau du PIB par habitant de la période pré-pandémie d’ici à l’an 2024. Au pire des cas, cette date sera repoussée jusqu’en 2030.[2]

Cette crise impose un triple fardeau en particulier aux plus pauvres au sein des communautés à divers niveaux dont ceux de la santé, de l’éducation et des revenus, déclenchant ainsi une crise du développement humain. La réalisation des Objectifs de développement durable de 2030 sera confrontée à des défis énormes.

À cause de la pandémie, la vie et les moyens de subsistance de nombreuses personnes sont menacés, mettant un bémol aux efforts d’envergure mondiale pour la réalisation de l’objectif Pas de pauvreté et Zéro faim. La pandémie a des effets néfastes sur la sécurité alimentaire et exacerbe les crises existantes telles que les conflits armés, le changement climatique, les animaux nuisibles et les épizooties.

La combinaison de la flambée des prix des denrées alimentaires et de la réduction des revenus, affecte les personnes déjà vulnérables. En conséquence, les dernières estimations des Nations Unies et de la Banque mondiale prévoient qu’un nombre supplémentaire de 83 à 132 millions de personnes risquent la famine, et que 100 millions de personnes seront réduites à la pauvreté cette année en raison d’une récession économique.

La plupart des pays identifiés par la FAO comme foyers de l’insécurité alimentaire sont situés en Afrique sub-saharienne.[3]  MovemLes restrictions sur la circulation durant la période de plantation, la non-disponibilité des intrants agricoles et l’incidence accrue des insectes nuisibles (ex. les criquets), et les maladies des plantes à plusieurs endroits pourraient entrainer une insécurité alimentaire accrue durant la saison de récolte qui s’ensuit.[4]

Quel est impact de la CoVID-19 sur les activités de la GIZ ? – Entretien avec Angelika Friedrich

Au vu des effets indésirables de la crise dans nos pays partenaires en Afrique, la CoVID-19 a également eu un impact important sur nos opérations. Nous avons demandé à Mme Angelika Friedrich, Chef du Département Afrique centrale à la GIZ ce qu’elle pense des répercussions potentielles de la pandémie sur la GIZ.
L’entretien a été édité par souci de longueur. 

Mme Friedrich, quels sont selon vous les défis majeurs causés par la pandémie ?

À dire vrai, la pandémie de la CoVID-19 a changé notre travail de diverses manières. D’abord, notre modalité de travail a changé. Par exemple, nous sommes passés du travail mobile à peu ou pas d’interactions physiques avec nos partenaires directs du projet, ou à la mise en œuvre de mesures de développement des capacités numériques.

Deuxièmement, l’exigence par nos principaux ministères compétents d’intégrer les mesures de réponse à la CoVID-19 dans les projets existants est nouvelle pour nous.

Tout cela veut dire que nous avons dû ajuster nos interventions tout en préservant les résultats positifs du projet obtenus avant la pandémie. Cela a été et demeure un effort considérable pour la GIZ et grâce à l’engagement et à la flexibilité de notre personnel nous sommes sur la bonne voie pour surmonter ces défis.

Qu’implique la CoVID-19 pour le portefeuille de la GIZ dans le secteur vert ?

Ayant pris fonction depuis le début de mars cette année, mon travail a été caractérisé par de nouveaux développements causés par la pandémie ainsi que par les plans de réforme « BMZ 2030 ». À commencer par ce qui s’est passé au sein du BMZ, nous devons parler du Programme d’urgence CoVID-19 préparé par le BMZ. Ce programme inclut sept thèmes dont deux directement liés au secteur vert : la Sécurité alimentaire et la Relance verte.

Pouvez-vous expliquer ce que signifie la Relance verte ?

Nous devons aider nos pays partenaires non seulement à faire face aux conséquences immédiates de la CoVID-19 mais également à réagir aux conséquences à moyen et long termes. La Relance verte concerne manifestement ces dernières.

En même temps, nous sommes confrontés à une crise climatique et environnementale telle que la forte perte de biodiversité. La Relance verte peut être envisagée sous forme de mesures interconnectées de réaction à ces crises. L’objectif est non seulement de réagir à la crise immédiate mais également d’acheminer le financement public et privé vers un changement transformatif.

Nous souhaitons donc aider les communautés à devenir des économies plus durables, résilientes et climatiquement neutres pour la période d’après la CoVID-19.

Que fera la GIZ avec les fonds supplémentaires reçus du BMZ ?

L’augmentation directe du budget alloué à la coopération pour le développement, de 9,7 milliards Euros en 2019 à 12,4 milliards Euros en 2020 en réponse à la pandémie, sera essentiellement exécutée à travers le réapprovisionnement des projets en cours. Nous réalisons que plusieurs projets existants sont déjà prolongés par une composante de la réponse à la CoVID-19.

Qu’implique la CoVID-19 pour « BMZ 2030 » ? La mise en œuvre a-t-elle été interrompue ou retardée ?

Non, plutôt le contraire. BMZ 2030 demeure une priorité à l’ordre du jour durant cette période du Corona. Auparavant, dans les discours sur les politiques, le focus régional et national était l’orientation décisive de la programmation du BMZ. Actuellement, sous la direction de notre ministre, M. Mueller, nous mettons l’accent sur les thématiques et continuerons sur cette lancée à l’avenir. La stratégie de la réforme comprend cinq domaines de base et dix domaines d’initiative. Quelques modifications ont été apportées aux thèmes prioritaires en raison de la CoVID-19. Par exemple, la santé qui n’était plus à l’origine un sujet pour la coopération bilatérale, a été sélectionnée encore une fois.

Nos thématiques au SNRD Afrique occupent également une place de choix dans l’agenda thématique de BMZ 2030. Trois des cinq thèmes principaux sont directement liés à notre portefeuille au SNRD et ce sont : « Un monde sans faim », « Protéger nos moyens de subsistance – environnement et ressources naturelles » et « Responsabilité pour notre planète – énergie et climat ».

En outre, certains des 10 thèmes d’initiative ont un lien direct avec notre portefeuille.  L’inclusion de l’approche Une santé dans les thèmes d’initiative dans le cadre de la réponse à la pandémie, est intéressante.

L’approche Une Santé semble être un sujet émergent important sur le terrain. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’elle signifie et son lien avec le Secteur vert ?

Une Santé est un terme basé sur l’approche consistant à traiter simultanément la santé des personnes, des animaux et de l’environnement. Entre autres choses, les projets basés sur ce concept visent à assurer que l’on pourra mieux éviter la transmission des maladies infectieuses à l’avenir.

Les zoonoses sont les maladies transmissibles des animaux aux humains et vice-versa, et font partie des maladies comprises dans l’approche Une Santé. En outre, nous pouvons constater qu’il existe un lien direct entre la santé humaine, animale, la préservation des ressources naturelles telles que les forêts, et même le changement climatique.

J’aimerais vous donner un exemple : Puisque les terroristes rendent les zones forestières inaccessibles aux gardes forestiers au Burkina Faso, ces zones ne sont plus suffisamment protégées. En conséquence, nous observons une augmentation de la viande de brousse vendue sur les marchés locaux, ce qui pourrait constituer une source de zoonoses à l’avenir.

En vue de maintenir une plante saine, il est vital d’établir un lien entre les thèmes de l’atténuation du changement climatique et de l’adaptation à ses effets, et de la gestion des aires protégées avec un sujet fédérateur tel qu’Une Santé.

Versement de riz à Tanguiéta, au Bénin. Après la récolte, le riz doit être lavé, tamisé, bouilli, séchéet enfin rempli dans une machine à éplucher le riz. Il est ensuite vendu sur un marché local, ici au Malawi
© GIZ/Meisner et Chancy Alfred Nthowela respectivement

La question pour nous au SNRD Afrique est alors, comment inclure les aspects changement climatique de manière plus visible dans notre réseau SNRD ? Que suggérez-vous ? 

Pour les professionnels du domaine climatique, deux sujets sont souvent à la une : l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets.

Je perçois des opportunités dans notre portefeuille vert à SNRD Afrique essentiellement dans le domaine de l’adaptation aux effets du changement climatique. Nous manquons constamment de projets dans le domaine de l’adaptation et le potentiel de projets sur l’agriculture et le développement rural abonde pour combler ce vide. J’aimerais exhorter les projets des membres du SNRD à réfléchir davantage aux moyens d’intégrer l’adaptation au climat aux projets existants ou de lui accorder une plus grande priorité dans le cadre de la formulation de nouveaux projets.

Penchons-nous plus en détail sur les effets de la pandémie sur nos interventions sur le terrain. Afin d’assurer que nous offrons des services durables, quels sont les opportunités et les risques que vous envisagez en particulier sur le continent africain dans le contexte de la pandémie actuelle ?

Concernant notre personnel en particulier, les incertitudes sont grandes. Les missions à l’étranger actuellement sont moins attrayantes pour notre personnel international et dans les pays francophones, il nous est difficile de combler les postes clés vacants.

Nous estimons que la numérisation dont le développement a été accéléré par la situation actuelle, offrira des opportunités fascinantes pour notre entreprise et également dans le domaine de la télégestion. En même temps, nous n’avons pas encore exploité les potentiels offerts par les ressources humaines riches de notre personnel national. Dans les pays de la coopération, nous mettons l’accent surtout sur nos partenaires, tandis que dans nos opérations basées en Allemagne, nous accentuons essentiellement nos donateurs. En bref, nous devons améliorer l’intégration du personnel national dans la structure de la GIZ, y compris à son Siège en Allemagne. L’Initiative « Coopération et Leadership » (KuF) de la GIZ offre ici un nouveau cadre pour explorer le potentiel de collaboration.

Avez-vous une idée de l’avancement du retour du personnel international à leur pays d’affectation ?

En Afrique, à quelques exceptions près, la plupart de nos employés internationaux sont déjà de retour. En ce qui concerne nos coopérants, il faut dire que plusieurs d’entre eux nous ont quitté au cours des derniers mois et nous en avons déjà recruté d’autres. S’agissant de nos collègues basés en Allemagne, nous comptons autoriser de plus en plus les voyages, par exemple pour les missions d’évaluation. Bien vrai que les missions d’évaluation virtuelles remplissent actuellement leur objectif, elles ne seront pas la seule méthode préférée. En particulier dans le développement rural, nous avons besoin de retourner aux missions analogues également. Toujours est-il que les missions virtuelles seront plus fréquentes par rapport à la période d’avant la CoVID-19.

Avez-vous un dernier mot pour notre communauté SNRD ?

Ces derniers mois ont été extrêmement difficiles pour l’ensemble de notre personnel des points de vue professionnel et personnel. La propagation du virus nous a frappés en tant qu’entreprise internationale dans toutes les dimensions de notre travail et nous sommes très heureux du fait que tous nos collègues se sont rapidement adaptés aux modes de coopération changeants.

En raison des défis mondiaux pressants, la capacité de mise en œuvre, la force innovatrice et la proximité des partenaires de la GIZ sont plus que jamais nécessaires. Nous avons accompli des résultats remarquables qui ont été largement reconnus dans les pays partenaires et par nos clients. Le BMZ a réaffirmé sa confiance dans notre travail ainsi que dans la forte motivation qu’il perçoit chez chaque employé, en particulier dans nos pays partenaires où le contexte est fragile.

J’aimerais remercier également le Réseau SNRD et vous souhaiter le meilleur dans vos efforts pour faciliter les échanges professionnels au sein de votre groupe et ainsi motiver vos membres à garder la tête haute face à la charge administrative croissante ainsi que la crise qui sévit.

Auteurs

PPARD groupe de travail

Footnotes

[1] WHO (2020) COVID-19 Situation update for the WHO African Region, 7 October 2020
[2] Institute for Security Studies (2020); Impact of COVID-19 in Africa: A scenario analysis towards 2030
[3] FAO-WFP (2020) FAO-WFP early warning analysis of acute food insecurity hotspots
[4] Ayalande & Radeny (2020) COVID-19 and food security in Sub-Saharan Africa: implications of lockdown during agricultural planting season. npj Sci Food 4, 13 (2020). https://doi.org/10.1038/s41538-020-00073-0