Comment parvenir à une gestion durable des forêts sèches au Cameroun
Élaborer de nouvelles lignes directrices techniques et un cadre réglementaire plus approprié
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Couvrant une superficie d’environ 475.442 km², le territoire camerounais est caractérisé par une diversité écosystémique et floristique. On y retrouve des écosystèmes d’eau douce, marins et côtiers, semi-arides, de savane tropicale boisée, de montagne, de forêt tropicale dense humide. Le gradient éco-climatique change rapidement quand on monte en latitude. La partie septentrionale du pays, caractérisée par une écologie fragile fait partie des zones les plus touchées par les problématiques de dégradation des ressources naturelles.
Les défis liés à la gestion des forêts sèches au Cameroun
77% de la population de la Région réside en milieu rural. Celle-ci tire l’essentiel de leurs moyens de subsistance grâce à l’exploitation des ressources de leurs terroirs. Le bois énergie par exemple, constitue la principale source d’énergie domestique pour plus de 90 % des ménages. La quête de cette précieuse ressource, pour la plupart, à partir des formations naturelles, fait malheureusement partie des principaux facteurs qui accentuent la dégradation du couvert forestier. Outre les besoins d’alimentation, l’exploitation des forêts sèches représente une véritable source de revenus pour de nombreuses familles, qui parfois n’ont aucune autre alternative que l’exploitation du bois ou d’autres produits forestiers.
Les principaux types de formations végétales présentent dans la zone sèche sont : les savanes arborées, les savanes arborées à arbustives, les savanes arbustives, les forêts ripicole, les steppes arborées, les steppes arbustives, les mosaïques savanes, les cultures, les jachères, les prairies.
Avec la démographie croissante, les effets conjugués des changements climatiques et de la désertification, le recul des forêts naturelles s’accentue, amenant le gouvernement à mettre en œuvre des politiques de sauvegarde, de reconstitution et de gestion durable des massifs forestiers. L’aménagement participatif et durable des formations forestières fait partie des principaux axes stratégiques définies par l’Etat pour adresser la problématique de la dégradation du couvert forestier. Cependant, il s’avère que pendant plusieurs années, la gestion des forêts de la zone sèche du pays s’est opérée sous la base des normes officielles conçues spécifiquement pour les forêts denses humides, ce qui n’offrait visiblement pas de garantie de durabilité. En effet, une faible attention y était réservée aux spécificités écologiques et sociales des zones sèches.
L’approche adoptée par la GIZ et les étapes clés du processus
Dans le cadre de l’appui que la coopération germano-camerounaise apporte au gouvernement camerounais, la GIZ accompagne depuis 2016 les administrations publiques en charge des forêts et de l’environnement à la gestion durable des ressources naturelles. La modernisation de la chaîne de valeur bois-énergie dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord du Cameroun ne saurait être envisagée si les outils durables relatifs à l’aménagement des massifs ne sont pas disponibles. C’est pour cette raison qu’il était urgent de développer des thématiques qui peuvent être utiles en tant qu’approches de gestion et outils de mise en œuvre des divers appuis à la population à gérer de la meilleure des façons les ressources forestières et à mieux protéger l’environnement.
Conscient de la fragilité des écosystèmes forestiers de cette partie du pays, la nécessité de mettre en place un cadre normatif et réglementaire adapté aux formations sèches a apparu aux yeux des acteurs du niveau politique et stratégique, comme l’une des actions urgentes à entreprendre.
De manière globale, le soutien du Programme d’appui à la mise en œuvre de la stratégie de développement du secteur rural volet forêt environnement (ProPFE) de la GIZ, aux administrations en charge des forêts et de l’environnement, s’est appesanti sur les étapes ci-après :
- La mise en œuvre des expériences pilotes d’aménagement des forêts dans la Région de l’Extrême-Nord.
- L’élaboration et l’adoption de la feuille de route nationale devant guider le processus.
- L’analyse par l’administration centrale des expériences antérieures et actuelles d’aménagement des formations forestières en zone de savane sèche à travers des visites de terrain et des échanges avec les acteurs locaux.
- La constitution d’un groupe de travail dédié à l’élaboration des directives techniques pour l’aménagement des forêts de la zone sèche.
- L’analyse des directives techniques par des juristes et la transformation en texte réglementaire.
- L’organisation d’un atelier de pré validation du cadre réglementaire et des directives techniques.
- La tenue d’un atelier national de validation des directives et du texte réglementaire qui fixe les modalités d’aménagement et de gestion des forêts sèches.
Le protocole d’inventaire forestier en zone de savane sèche : une des innovations techniques au niveau micro
L’une des contraintes antérieures à la gestion des massifs forestiers de la zone sèche résidait en la fiabilité des méthodes et des outils employés pour l’estimation des ressources ligneuses disponibles. Les travaux du groupe technique multisectoriel mis sur pied par l’administration centrale ont permis de s’accorder sur la méthodologie appropriée pour la réalisation des inventaires des ressources ligneuses des forêts sèches.
La bonne connaissance des potentialités réelles d’une forêt est une étape essentielle et préalable à sa gestion durable. Le protocole d’inventaire ainsi adopté décrit de manière détaillée la démarche technique et les différents outils nécessaires pour l’inventaire forestier. Pour l’aménagement des forêts de production dans les forêts des zones sèches, l’inventaire multi-ressource par échantillonnage a été adoptée.
En zone de savane sèche, le comptage en plein, exigé par l’inventaire d’exploitation, n’est pas possible car il serait trop coûteux rapporté à la valeur de la ressource qui sera exploitée. Les expériences de terrain démontrent qu’avec un seul inventaire, il est possible d’avoir une estimation du potentiel à exploiter. Cet inventaire multi-ressource permet de dénombrer les arbres d’une essence donnée, d’étudier certaines de leurs caractéristiques, d’évaluer les autres ressources et services de la forêt, dans un espace, afin de connaitre le potentiel valorisable dans le cadre de la gestion durable. Le dispositif de sondage caractérisé par l’implémentation des placettes circulaires à deux compartiments et les méthodes de comptage constituent les principales innovations apportées sur le plan technique au cadre normatif camerounais en matière d’aménagement forestier (Article 13 du projet d’arrêté fixant les modalités d’aménagement et de gestion des formations de la zone sèche du Cameroun).
Dans la pratique, l’implantation de ce dispositif s’avère facile. Il présente par ailleurs un plus faible risque d’erreur de positionnement des arbres à l’intérieur comme à l’extérieur des placettes comparé à d’autres types de placettes (formes rectangulaire et carrée). La méthodologie de placettes circulaires proposée pour l’inventaire sied aussi bien pour l’inventaire dans les formations naturelles que dans les plantations forestières.
Représentation du dispositif de sondage
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Un document de référence : les directives nationales d’aménagement des forêts sèches
Au Cameroun comme ailleurs en Afrique sub-saharienne, le bois de chauffe constitue la première source d’énergie pour les communautés locales. Depuis de nombreuses années déjà, des voies se sont élevées pour alerter sur le recul des formations forestières des zones sèches. La nécessité de mettre en place un cadre normatif et réglementaire adapté aux formations sèches a apparu comme un impératif. Il est capital de gérer durablement les écosystèmes forestiers tout en assurant et en sécurisant l’accès à la ressource pour les plus pauvres.
Le processus a abouti à la consolidation et l’adoption d’un projet d’arrêté qui fixe les modalités d’aménagement et de gestion des formations forestières de la zone sèche du Cameroun. Le document de référence soumis à une validation nationale, détermine les procédures d’élaboration, d’approbation, de suivi et de contrôle de la mise en œuvre des plans d’aménagement des forêts sèches. Il comprend une cinquantaine d’Articles répartis en Chapitres qui abordent tour à tour :
- Les définitions et le champ d’application.
- Les procédures d’élaboration d’un plan d’aménagement.
- Les procédures d’approbation et d’évaluation de la mise en œuvre du plan d’aménagement
- Les procédures annuelles et les modalités d’exploitation.
Quatre (04) annexes sont joints à ce projet d’Arrêté et concernent les procédures techniques pour la réalisation des études préalables à l’aménagement (études socio-économiques), de la cartographie, des inventaires et de l’exploitation forestière.
Ces directives sont particulièrement importantes puisqu’elles fournissent un cadre de référence et édictent des règles claires sur la définition et le respect de principes d’aménagement permettant d’assurer la durabilité de la ressource forestière ainsi que le rendement soutenu de leur exploitation. Elles représentent à la fois un important instrument de création des conditions favorables à l’approvisionnement durable des populations locales en produits forestiers ligneux et non-ligneux, de régénération forestière et de création des richesses dans la partie septentrionale du Cameroun.
Les facteurs de succès
Le processus d’élaboration des directives techniques a bénéficié d’un grand engagement des acteurs politiques en charge de la gestion forestière et un environnement très favorable à la concertation et aux partages d’expériences. Les facteurs de succès du processus sont entre autres :
- Les échanges d’expérience Sud-Sud, notamment à travers l’organisation d’un voyage d’étude au Sénégal, auquel ont pris par des cadres et experts de l’administration en charge des forêts. Ce voyage d’étude a permis entre autres de tirer des enseignements importants sur le cadre politique et institutionnel dans lequel s’inscrit la gestion participative et décentralisée des espaces sylvopastoraux au Sénégal, les méthodologies d’inventaire, d’enquêtes socioéconomiques, et le canevas de plan d’aménagement utilisé. Les similarités agroécologiques décelées entre les zones sèches des deux pays ont fortement guidé le choix de la destination du Sénégal.
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Quelques images des visites de terrains effectuées dans la forêt classée de Dankou et la forêt protégée de Sambandé (Senegal)
- La construction d’un dialogue entre les acteurs locaux et les autorités centrales concernées par le processus, ceci dans le but de garantir la complémentarité entre les interventions locales et le processus d’élaboration des documents de politique nationale en matière de gestion forestière. Les concertations entre les acteurs des deux niveaux ont permis de mettre en exergue les différentes lacunes et les contraintes observées dans l’application du cadre réglementaire en vigueur en matière d’aménagement et de gestion des forêts de la zone sèche, et d’en proposer un nouveau, qui tienne compte des spécifiques locales.
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- Le soutien des rencontres des sous-groupes thématiques qui ont été mis sur pied par l’administration en charge des forêts pour l’élaboration des nouvelles directives techniques et du cadre règlementaire.
Les perspectives
Face à la dégradation observée des ressources forestières en zone de savane sèche, et dans un contexte actuel marqué par un déficit entre l’offre et la demande (estimé à – 26% en 2012 pour la Région de l’Extrême-Nord), la vulgarisation du nouveau cadre règlementaire et des différentes directives techniques d’aménagement des forêts sèches, permettra certainement à apporter quelques pistes de solutions.
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L’approvisionnement en énergie des ménages de la Région dépend à plus de 95 % de la biomasse forestière. Les outils d’aménagement et de gestion durable ainsi développés faciliteront la production durable du bois dans les différents bassins d’approvisionnement de la Région, en y apportant ainsi une réponse à la vision stratégique de modernisation de la filière bois-énergie dans la zone sèche du pays.
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Les acquis des expériences pilotes d’aménagement réalisées entre 2016 et 2018 dans deux réserves forestières, dans le Département du Mayo-Tsanaga (Est de la Région de l’Extrême-Nord), peuvent aujourd’hui être considérées comme un bon point de départ pour le changement de perception des acteurs institutionnels et des populations locales sur la possibilité de créer de l’emploi et des revenus autour de la gestion forestière, ainsi que la nécessité d’assurer la pérennisation de la ressource grâce à une démarche participative. Les forêts de Mogodé (252 ha) et de Mayo-Louti (2440 ha), dont il est question, font partie des 14 Réserves forestières appartenant au domaine forestier national permanent dont la gestion a été transférée aux Collectivités locales (Décision n°2002/D/MINFOF/SG/DF/CSRRVS du 21 août 2012 qui fixe la liste et les modalités de transfert de la gestion de certaines réserves forestières).
Quelques résultats intermédiaires issus des activités réalisées en 2018 dans la réserve forestière de Mogodé (252 ha)
- Bloc annuel de gestion n°1 (21 ha).
- Essence exploitée : Eucalyptus camaldulensis.
- Diamètre minimum d’exploitabilité fixé à 30 cm.
- Nombre de pieds exploités en 2018 : 96 pieds.
- La cellule de foresterie communale opérationnalisée. La main d’œuvre locale recrutée par la Commune pour la réalisation des opérations d’exploitation pendant 05 mois.
- 01 Marché de bois opérationnalisé au sein de la Commune.
- Principaux produits de l’exploitation commercialisés :
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Toutefois, les réserves forestières transférées ne couvrent que 20 709 hectares. L’essentiel de la production en bois s’effectue pour la plupart dans les forêts communautaires ou dans les forêts non-aménagées. 80% de l’approvisionnement est couvert par le secteur informel caractérisé par l’exploitation illégale et anarchique du bois-énergie. L’utilisation abusive du droit d’usage par les populations riveraines est associée à un développement anarchique et incontrôlé d’une activité lucrative axée sur la commercialisation du bois. Une gestion durable est réactive et permet une adaptation rapide aux variations et enjeux climatiques. Pour y arriver, il est nécessaire que ces espaces forestiers soient dotés de plans d’aménagement bien élaborés.
La vulgarisation effective des nouvelles directives d’aménagement et de gestion des forêts sèches se présente donc comme une véritable opportunité d’emplois décents pour les populations locales, d’amélioration des conditions de vie et de garantie la pérennité de la ressource forestière dont l’importance n’est plus à démontrer pour la partie septentrionale du Cameroun. Toutefois, cela ne saurait être possible si une attention particulière n’est portée sur le renforcement des capacités organisationnelles et du pouvoir décisionnel des gestionnaires de ces espaces forestier.
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Par
Haiwe Bertrand Roger et Désiré Tchigankong, GIZ/ProPFE