Renforcer la résilience : Faisons-nous des progrès ?

Vers une compréhension commune du renforcement de la résilience – réflexion sur l’état et les perspectives de cet objectif critique

Que se passerait-il si ? 

Depuis le début du mois de juillet 2018, le sud de l’état indien du Kerala a été en proie à de graves inondations dues à des précipitations exceptionnellement abondantes pendant la saison des moussons. C’était la pire des inondations à Kerala en près d’un siècle. En date de septembre 2018, plus de 483 personnes ont perdu la vie, et 38 sont toujours portées disparues.

C’est la dure réalité. Mais considérons le cas d’une communauté imaginaire. Pensez à une communauté rurale qui n’a été que légèrement affectée par les inondations parce qu’elle avait adopté des mesures préventives au préalable. Un comité de gestion des digues avait coordonné les activités de plantation afin de stabiliser les digues et la communauté a  conjointement préparé un plan de développement qui exclut toute construction dans les zones inondables. Les terres fertiles dans les zones inondables étaient couramment utilisées par les membres de la communauté et les petites entreprises locales ont contribué à la diversification de la base de revenus. Les céréales et les denrées alimentaires étaient stockées en lieu sûr. Les ménages touchés par les inondations recevaient des prêts d’urgence pour compenser les pertes agricoles et les dégâts causés sur leurs maisons par le biais d’un système d’épargne communautaire. – En somme, c’est sans doute ce qu’on pourrait appeler résilience.

Malheureusement, cette communauté n’existe pas à notre connaissance. Les reportages médiatiques dressent un sombre tableau :  Plus de 100 000 personnes sont privées d’infrastructures vitales. L’accès à l’eau potable, à la nourriture et aux moyens de communication est fortement entravé. Comment cela pourrait-il être plus clair ? Le renforcement de la résilience n’est pas simplement un concept théorique, bien qu’il soit malheureusement très souvent utilisé comme un mot creux, un objectif dépourvu de mesures claires et réalistes pour son atteinte.

Pourquoi la résilience ?

Parce que les conditions météorologiques et climatiques deviennent de plus en plus extrêmes. La pression démographique sur les ressources naturelles et économiques est à la hausse, et le nombre de personnes déplacées par la guerre, les conflits et les événements météorologiques extrêmes atteint des records sans précédent. Le renforcement de la résilience est d’une grande importance pour de nombreux secteurs et programmes de développement. Pour cette raison, le groupe de travail sur la sécurité alimentaire, la nutrition et la résilience a choisi la résilience comme thème de discussion pour le dernier numéro de la newsletter de SNRD Afrique.

Le groupe de travail souhaite mieux cerner la manière dont les projets et d’autres secteurs renforcent la résilience et adressent les obstacles communs auxquels ils sont confrontés dans cette entreprise. Le groupe a initié un nouveau flux de travail sur la nutrition et la résilience qui vise à une meilleure compréhension de ce que l’on entend par résilience dans leur contexte. Encourager l’échange et l’apprentissage dans tous les secteurs afin de définir un concept – ou plutôt un objectif plus clair – utilisé dans plusieurs secteurs: telle est l’une des premières réalisations de ce flux de travail.

Le groupe de travail souhaite souligner que le renforcement de la résilience peut constituer un dénominateur commun des projets dans tous les secteurs, et par la même une opportunité pour une collaboration productive. Ce serait le cas si ce terme est pris au sérieux et non pas uniquement utilisé comme un mot à la mode dans la communication de projet ou comme un moyen de satisfaire à toutes les exigences en ce qui concerne la documentation. A travers cet article, le groupe de travail partage ses observations initiales sur le concept de la résilience et ses premières réflexions quant aux domaines dans lesquels les projets doivent s’améliorer en ce qui concerne la coopération au développement.

Comprendre la résilience

Le concept de résilience a été créé dans le domaine de l’écologie, cette branche de la biologie qui traite des relations des organismes entre eux et avec leur environnement physique :

En écologie, la résilience détermine la persistance des relations au sein d’un système et la capacité d’un écosystème de répondre à un choc en résistant aux dommages et en récupérant rapidement. Depuis la fin des années 1980, la résilience a également été utilisée pour analyser la façon dont les êtres humains réagissent au stress, à des chocs, ou au changement. Aujourd’hui, de nombreuses définitions liées à des contextes spécifiques existent, même si elles tournent toutes autour de l’essence même de la résilience, à savoir les facteurs d’un système qui permettent à ce dernier de continuer de fonctionner dans des conditions défavorables et malgré les chocs.

Dans la coopération au développement, le concept est entretemps influencé principalement par la gestion des risques liés aux catastrophes et l’aide de transition vers le développement. Le Ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ) définit par exemple la résilience comme suit :

“La résilience consiste en la capacité des personnes et des institutions – que ce soit des individus, ménages, communautés ou nations – de faire face à des chocs sévères, des charges chroniques ou des situations de stress causés par la fragilité, les crises, des conflits violents et des phénomènes naturels extrêmes, en s’adaptant et en les surmontant rapidement sans mettre en danger leur futur à moyen et à long terme” (propre traduction, BMZ 2013).

Trois types de capacités

De façon générale, la résilience implique l’amélioration de trois capacités : la capacité d’absorber ou de gérer, de s’adapter et de se transformer. La signification peut être différente en fonction du contexte et du secteur en question, mais en général, chaque capacité peut être définie comme suit :

Les capacités d’absorption désignent des compétences d’adaptation permettant aux individus, ménages, communautés ou états d’affronter ou d’atténuer les effets négatifs des chocs. Cela implique en règle générale les ressources humaines, financières, sociales et naturelles. Dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle, cela pourrait référer à la disponibilité de ressources financières pour acheter des aliments nutritifs, même dans des conditions de sécheresse. Cela pourrait cependant aussi se rapporter à des stratégies d’adaptation négatives qui hypothèquent les possibilités de développement futures, comme le fait de réduire la consommation alimentaire ou la vente de moyens de production afin d’acheter de la nourriture. À court terme, même les stratégies d’adaptation négatives peuvent contribuer à la stabilité, à l’instar d’une consommation alimentaire relativement stable.

Les capacités d’adaptation permettent aux personnes ou aux systèmes socio-écologiques ou socio-économiques de s’adapter progressivement à l’impact des chocs, du stress ou du changement. Il s’agit ici de la diversification de la production agricole et des sources de revenus afin de mieux faire face à la variabilité et au changement climatique ou l’amélioration des infrastructures d’assainissement pour s’adapter à des inondations plus graves.

Les capacités de transformation sont activées par le changement systémique et structurel. Cela implique le changement de tout un mode de vie, par exemple le passage de l’agriculture de subsistance à une agriculture à but lucratif ou l’autonomisation des femmes à travers l’amélioration de l’accès au financement et le changement des comportements au sein d’une communauté ou d’une société.

A quel degré renforçons-nous la résilience ?

Répondre à cette question au niveau des projets requiert des recherches et une analyse poussées. Il serait souhaitable d’appliquer le cas par cas ou une approche par projet. Cependant, il y a des tendances mondiales qui donnent quelques indications, par exemple :

  • La faim est à la hausse dans le monde — le nombre estimé de personnes victimes de malnutrition est passé de 783,7 millions en 2014 à 820.8 million en 2017 (FAO 2018)
  • Une recrudescence des conflits à travers le monde au cours des dernières années
  • La dégradation des sols qui compromet le bien-être de 3,2 milliards de personnes — expansion et mauvaise gestion des terres cultivées et pâturages en étant le facteur le plus important (ipbes 2018)

Ces tendances préoccupantes qui accroissent la vulnérabilité et l’exposition des personnes aux chocs mènent le groupe de travail à la conviction que : « Nous devons faire beaucoup mieux ! »

Que se passe-t-il au niveau des projets ?

De nombreux projets définissent le renforcement de la résilience comme étant leur objectif clé. Cependant, un examen plus approfondi de la situation révèle que ces projets tendent à manquer d’actions spécifiques en ce qui concerne les objectifs et approches y relatifs. Tout projet visant à produire des résultats tangibles dans le domaine du renforcement de la résilience devrait être en mesure de répondre aux questions fondamentales suivantes :

  • Résilience de quoi ? – Mon approche est-elle orientée vers un système de subsistance spécifique ou, par exemple, un système de sécurité alimentaire et nutritionnelle en général ?
  • Résilience face à quoi ? – Mes objectifs adressent-ils la variabilité du climat et le changement climatique, les crises économiques selon une perspective systémique ou plutôt des chocs qui menacent les moyens de subsistance des individus, tels que les maladies ou le chômage ?
  • Résilience de qui ? – L’action cible-t-elle un pays, un segment particulier d’une population, ou des communautés spécifiques ?
  • Résilience par rapport à quoi – Le projet adresse-t-il les besoins de sécurité de base, la pauvreté, ou le bien-être général ?
  • Résilience sur quelle période de temps– Les mesures sont-elles des mesures à court ou à moyen terme, par exemple, pour résister aux conditions météorologiques extrêmes, ou à long terme pour faire face aux effets du changement climatique en cours ?

Le groupe de travail a l’impression que de nombreux projets affirment que leurs efforts ont contribué au renforcement de la résilience en termes plutôt généraux par exemple contre les catastrophes naturelles, l’insécurité alimentaire ou les conflits. Ce sont certes là de vastes plans qui comprennent des tâches importantes ne pouvant que difficilement être réalisées par un seul projet. Toutefois, cela ne devrait pas mener à une situation où pratiquement toute activité de développement serait automatiquement à classer dans la catégorie de résilience renforcée. Cette pratique contribue à ce que le terme résilience soit utilisé de manière préjudiciable comme un label de communication sans que n’y soit associée une activité de projet spécifique bien définie.

Le renforcement de la résilience nécessite une analyse et un examen des mesures appliquées pour s’assurer qu’elles renforcent effectivement la résilience dans un contexte particulier, sur un laps de temps défini et dans toutes ses capacités. Il existe de nombreux cadres pour effectuer des analyses de contexte approfondies et définir des mesures ciblées – en particulier dans les domaines de la gestion des risques de catastrophes naturelles, du changement climatique et de transition de l’aide au développement. Il y a donc beaucoup de choses à exploiter et à apprendre, par exemple lors de la définition de ce que signifie la résilience dans le contexte de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Focalisation sur la capacité d’absorption

Le renforcement des capacités de transformation est certainement l’aspect le plus complexe de la résilience, ce qui mène le groupe de travail à faire une deuxième observation : dans le contexte d’environnements difficiles – que ce soit les situations de conflit, le changement climatique, l’urbanisation ou les taux élevés de retard de croissance – il est aussi tentant qu’il est essentiel d’accorder une attention particulière à la capacité d’adaptation et d’absorption. C’est exactement ce que font la plupart des projets de développement.

En ce qui concerne ces deux capacités, il existe différentes approches réussies. Jetons un bref regard sur deux exemples en mettant un accent particulier sur les capacités d’adaptation et d’absorption :

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Au Malawi, les transferts d’espèces sensibles à la nutrition ont aidé à prévenir les stratégies d’adaptation négatives après l’El Niño exceptionnellement violent de la saison 2015-2016. Les capacités d’adaptation ont été renforcées en conjonction avec des formations sur l’irrigation et l’amélioration du stockage de l’eau et la promotion des semences et plants pour les jardins familiaux.
La diversification de la production agricole et de l’alimentation à travers la gestion intégrée de l’agriculture familiale a permis aux ménages ruraux de générer des revenus supplémentaires, ce qui les aide à mieux faire face aux pénuries alimentaires saisonnières. Par la même occasion, cela encourage à l’utilisation de cultures plus adaptées à l’évolution des conditions climatiques et renforce les capacités d’adaptation à moyen terme.

En Inde, la promotion de l’entreposage adéquat des semences aide les communautés à protéger les semences pour la prochaine saison et réduit la quantité d’argent nécessaire pour les investissements récurrents en intrants agricoles. En conséquence, les ménages ont des ressources financières supplémentaires à leur disposition.

Faire face à la perspective de long terme

La résilience implique la capacité de répondre à la fois aux besoins immédiats et à des aspects d’un progrès plus fondamental en matière de développement. Cela ne peut être réalisé dans des délais très courts – certainement pas dans le cadre d’un seul cycle de projet. En particulier, le renforcement de la capacité de se transformer exige une perspective multisectorielle à long terme pour laquelle de nombreux projets ne sont pas conçus. Cependant, les projets de coopération au développement peuvent initier le changement structurel vers un renforcement de la résilienceOn ne peut vérifier si des niveaux de résilience plus élevés sont atteints qu’après qu’un certain temps se soit écoulé.

Dans le domaine de la nutrition, la réalisation d’un changement de comportement, tels que la diversification des régimes alimentaires basés principalement sur le maïs ou le riz, l’évolution des habitudes d’allaitement ou l’autonomisation des femmes dans la prise de décisions au sein du ménage, représente un défi majeur. Des mesures et stratégies – pour renforcer l’engagement des hommes par exemple – ont déjà été mises en place mais le changement des habitudes et des structures de pouvoir nécessite une coopération et des approches intersectorielles.

Par exemple, l’autonomisation des femmes s’avère difficile sans leur inclusion financière et économique. La diversification alimentaire ne peut  être que difficilement atteinte sans la contribution du secteur agricole. La réduction des taux de retard de croissance est tributaire de l’amélioration de la santé et de l’assainissement. Et la sécurité alimentaire est à portée de main uniquement lorsque l’atténuation et l’adaptation adéquate en termes de changement climatique sont réalisées et la stabilité économique s’est améliorée dans l’ensemble.

Ce qui rend ce type d’initiatives compliqué, c’est qu’elles ne sont pas unidirectionnelles. De nombreux objectifs deviennent aussi des moyens. La sécurité alimentaire est à la fois un élément essentiel de la résilience, et un résultat de celle-ci. Par conséquent, la résilience n’existe pas quand les besoins alimentaires et nutritionnels ne sont pas remplis, ce qui est pertinent pour les autres secteurs qui visent à renforcer la résilience.

En conclusion

La résilience peut être un concept passerelle et un objectif à la fois partagé entre les secteurs et supra-sectorielAfin de satisfaire à cette attente, tous les aspects de la résilience doivent être clairement pris en compte et renforcés par l’approche d’un projet – de préférence en coopération avec d’autres projets et partenaires.

A l’avenir, l’accent devrait être mis davantage sur la dimension transformatrice de la résilience avec pour objectif d’initier un changement  et un progrès systémiques.

Le groupe de travail souhaite savoir comment d’autres projets travaillent avec la notion de résilience – surtout en ce qui concerne le renforcement des capacités transformatrices. Nous espérons que vous prendrez plaisir à lire cette newsletter et serez inspirés pour vos projets futurs.

Les auteurs

L’article ci-dessus est l’éditorial de la newsletter n°5 du réseau sectoriel pour le développement rural (SNRD) Afrique  et résulte des contributions de Susanne Schwan, Archana Sarkar et Sarah-Kay Schotte, ainsi que du groupe de travail Sécurité alimentaire, Nutrition et Résilience .

Références et lectures complémentaires

  • BMZ (Federal Ministry for Economic Cooperation and Development). 2010-2018. Transitional development assistance. Enhancing resilience – building connectedness. Berlin. www.bmz.de/en/issues/transitional-development-assistance/index.html.
  • FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations). 2018. In brief the state of food security and nutrition in the world. Building climate resilience for food security and nutrition. Rome. www.fao.org/3/CA1354EN/ca1354en.pdf.
  • FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations). 2016a. Resilience Index Measurement and Analysis – II: Moving Forward the Development of the Resilience Index Measurement and Analysis Model. Rome. www.fao.org/resilience/resources/resources-detail/en/c/405048/.
  • FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations). 2016b. Strengthening the links between resilience and nutrition in food and agriculture. Rome. www.fao.org/3/a-i3824e.pdf.
  • IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services). 2018. Media release: worsening worldwide land degradation now ‘critical’, undermining well-being of 3.2 billion people. Bonn. www.ipbes.net/news/media-release-worsening-worldwide-land-degradation-now-%E2%80%98critical%E2%80%99-undermining-well-being-32.
  • GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH). 2016. Boosting Resilience in Fragile Contexts. A field-tested approach of the Resilience Learning Initiative.
  • Holling C. 1973. Resilience and stability of ecological systems. Annual Review of Ecology and Systematics 4:1–23. DOI 10.1146/annurev.es.04.110173.000245.
  • Ifejika Speranza C, Wiesmann U, Rist S. 2014. An indicator framework for assessing livelihood resilience in the context of social-ecological dynamics. Global Environmental Change 28:110. DOI 10.1016/j.gloenvcha.2014.06.005.
  • Maxwell D, Constas M, Frankenberger T et al. 2015. Qualitative Data and Subjective Indicators for Resilience Measurement. Resilience Measurement Technical Working Group. Technical Series No. 4. Rome: Food Security Information Network. www.fsincop.net/fileadmin/user_upload/fsin/docs/resources/1_FSIN_TechnicalSeries_4.pdf.
  • Tendall DM, Joerin J, Kopainsky B et al. 2015. Food System Resilience: Defining the Concept. Global Food Security 6:17–23. DOI 10.1016/j.gfs.2015.08.001.